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j é r ô m e

Le petit garçon

 

"C’était un soir de printemps où la Terre était en grève, suffocante par l’animation vaniteuse régnant à sa surface. Le petit garçon."

Parfois, seul ou en pleine discussion mon regard se fige, la magie de l’instant présent s’évapore, l’environnement qui me fait face se dissipe et le rideau de mes songes s’ouvre. Vous savez, telle l’écume de mer rampant vers le futur pour mieux se retirer vers le passé. Il y a de ces souvenirs qui restent indélébiles en vous, des souvenirs dont la marque de la poudre consumée par le feu est encore inscrite dans la moindre de vos cellules. Dans la pure tradition soufie, la vision mystique de l’islam, il est salutaire de mourir à soi-même avant de quitter le monde matériel. Autrement dit tout au long de notre vie, comme le serpent et ses nombreuses mues, noble est la démarche de se défaire de ses chaînes, conscientes, inconscientes, transmises dès la naissance ou après, dissoudre les traumatismes de nos vies et honorer l’âge d’or. Accentuant alors une vision de plus en plus aiguisée et profonde, le roi mental abdiquant son trône face à la reine intuition. Les masques tombés, l’humanité renaîtrait.
 

Tout cela devient bien sérieux, si je vous parle de ce charabia c’est pour faire le lien avec un doux souvenir, revenant sur la pointe des pieds quand mon âme devient pluvieuse. C’était un soir de printemps où la Terre était en grève, suffocante par l’animation vaniteuse régnant à sa surface. Le petit garçon. Cet être plein de vie, encore poussière d’étoile six ans auparavant brisa mon armure. Non pas au milieu d'un désert comme l’avait conté un célèbre aviateur français dont la fable pourrait allègrement figurer aux côtés des plus grands mystiques perses, mais en pleine forêt française, un rayon de lune éclairait son visage.
 

- Je ne vous comprends pas, pourquoi vous les grandes personnes vous ne vous aimez pas ? Vous passez votre vie à courir après l’extérieur sans comprendre que vous courez après l’Amour. Vous vous cachez derrière vos titres, derrière vos biens, derrière vos vêtements et vos mots sophistiqués, vous vous noyez d’activités et de relations qui ne sont que des arrangements ou des recherches d’approbation car vous ne voyez pas. En réalité vous ne voulez pas voir par peur de mettre un orteil à l'endroit que l'on nomme votre vide intérieur. Pourtant c’est ici que se cache le trésor de tout être-humain ; en ouvrant votre cœur vous donnerez, sans attentes, vous donnerez et vous verrez. Je ne vous comprends pas, la vie est bien faite, quand vous ne comprenez pas, cette coquine vous met face aux mêmes épreuves et pourtant vous fuyez car vous ne voulez pas voir. Alors l’histoire se répète, et vous, vous cherchez, vous cherchez encore plus de titres, plus de biens, plus de relations avec l’espoir que l’extérieur vous apportera le bonheur, car vous ne vous aimez toujours pas. En réalité, vous faites tout pour combler vos manques, alors vous continuez de chercher et vous vous condamnez à continuer car une fois que vous possédez, votre vide intérieur revient au galop. C’est étrange non ? Et comme il revient au galop, vous fuyez sans voir que la clé est dans votre main, vous vivez dans l’illusion alors vous souffrez, vous avez peur, peur d’être confronté à vous-mêmes et aux grandes lois de la Nature. Alors vous accusez l’extérieur. Vous accusez autrui. Pourtant autrui et vous êtes unis, unis au grand Tout que représente la vie. Puis un jour, quand vous avez suffisamment joué, que pour la énième fois vous souffrez, que pour la énième fois vous vous êtes menti à vous-mêmes, que pour la énième fois vous avez maltraité votre lumière et dénié votre ombre, le voile se lève, vous dites oui, oui à la vie, oui à l'endroit que l'on nomme votre vide intérieur. Alors vous donnez, sans attentes, vous vivez, vous aimez car vous êtes devenus vous, joie et peine vous attendrons, sur un chemin sans but et sans fin, mais vous êtes devenus vous, la source intarissable. Amour. Demain. Adieu voile.

Insomnie 
 
Camomille fumante

La froideur du drap

D’une promesse latente

Me guette tel un appât

Zarathoustra  
 
Soliste j’enfile ma camisole

 Prêt à accueillir mes fantômes 
 
Comme stoppé en bagnole

L’intérieur n’est qu’hématome

 Le souffle entaillé Les acouphènes valsent

 Derrière mes miroirs épuisés

Je plonge dans mes crevasses 
 
Je serre les poings

Elle n’est plus, volte-face

Bienvenue au paradis perdu, passage à témoin

Mon matelas flotte dans l’espace

Dans l’éternité je ne suis pas seul

Nous tournoyons tous  
 
Camisole en guise de linceul

Les lanières se font et se défont

Tout au long du voyage 
 
Soliste j’enfile ma camisole

Prêt à accueillir mes fantômes 

L’oiseau voilé (aux migrants)
 
Au milieu du brasier, les affres m’enlacent

Commissure de lèvre tremblante embrasse

Teint vermeil, quand terre natale devient létale 
 
Dot macabre, voile gonflée de larmes, le râle

Au souffle d’une dernière déflagration

Me flanque dans l’enfer de cette embarcation 
 
Flaque d’eau dévorant mes amis d’infortune

Noyés sous l’incurie ou seul brille la lune

Ou seuls comptent la tune et les unes

Ou seuls comptent la tune et les urnes 
 
Mon sort poule aux œufs d’or

 Des conquistadors            

Dors, dérivant vers le bord

Un voile zippé pour vêtement de plage

Quand un autre nourrit oiseux bavardages 
 
Je suis l’oiseau voilé à la vie volée

Cachant sous mon duvet le désir d'aimer 
 
Puisque guidé je suis lorsque ailes libérées

Des blessures du passé 

 


 
Ce matin, Percy Adlon, réalisateur de Bagdad Café, de son œil argentique, le celluloïd gonflé à la manière d’une voile de Fireball, rythmé par le métallique clavecin prend cap en direction de la butte Camélinat. Action. Mouillage rassurant aux effluves ambrés laissant deviner l’armagnac, au loin, scène digne de Caravage, deux chiens tisonnés de noir font la cour à un animal vêtu d’un habit de cendre. L’écho amical des glaçons laissant place aux larmes écossaises qui jaillissent contre la paroi du verre. Deux yeux apparaissent alors, une Renault Alpine. La calandre me sourit, le moteur épouse des notes baroques puis disparaît en riant dans l’essence du Vouvray. La pellicule à présent impérissable.  
  
Ton ami, J.  

Seul, du haut de ma fugace tourelle, sombres horizons pour fausses illusions, les musiciennes me font face. Pan, Feu. Pamphlet de mon Moi. Vaine colère dans l’odeur âcre de la poudre – Ramiers c’est un cessez-le-feu ! Note finale. Rameau brisé, masque tombé, « Forêts paisibles » - Veines adoucies. 


Genoux sur lit d’aiguilles, perles aqueuses sur joue iodée, trois cent soixante degrés, les feux follets grimpent, la canopée danse, derrière, flou en pagaille, écailles marrons, pinède en ébullition, résine crépite, élite des forêts, sa majesté le cerf Un – Deux – Trois, mise en lumière, acceptation ! Ronde arbouse comme bouche en suspens, un amas vaporeux naissant et s’effaçant s’y extirpe, au loin, même image, je redécouvre le chant des vagues. Parfum de mirabelle, princesse forestière. Elle se réveille, il est temps, champ des possibles. Encore plus haut, une flèche blanche. La carlingue s'arrache de sa rage vrombissante gravant le fragile celluloïd du temps. Figé. Trop tard. Ciel de nouveau comme ardoise vierge ; tout est à faire, à refaire

Dès le début, jet de dés

Alors jugé, ils concluent

Las, tu ne comprends pas

Tu viens à peine de faire trois pas 
 
Par cœur, tête baissé benêt

Sensibilité sur le bas-côté, en chœur, encore

Mais je ne suis qu’un enfant

Pas le temps fainéant  
 
Verdict tombé, tu es lent

Diamant, étouffé

Tu as peur, Tu as mal, ça brille

Tourne l’aiguille, il est l’heure 
 
Dès le début, jet de dés

Alors jugé, ils concluent 
Et pourtant au creux de ta paume

Ils sont toujours là, destin d’Homme 
 
Les Dès 
 

 

L’Omerta du sylviculteur  
 
Dans ma famille, les mots pourrissent 
Dans nos mémoires, et nos mains se cornent 
Le travail pour seul dignité, repenti mais impossible armistice  
Nos corps annonçant le matin morne 
Dans ma famille, c’est l’omerta du sylviculteur 
C’est le masque de la pudeur qui se préfère tueur 
 
Le kick de ma moto sonnant 
 Comme l’écho du coup de feu 
S’affranchit d’un parfum d’essence irradiant 
L’haleine poudreuse d’un irrévocable adieu 
La poignée pressée au maximum 
Pressent l’ultimatum 
Quinze ans, à tout berzingue, à plus de cent  
Pour un frontal mortel fissurant à jamais 
Une jeunesse et des Hommes dans le sang 
Tel le kanun d’Albanie, le regard se fait 
Bien trop pesant 
 
Alors main dans la main 
Chagrins et orphelins se lient 
Dans un insurmontable oubli, en vain 
Marre de vin, forêt pour dernier lit 
 
Dans ma famille, les mots pourrissent 
Dans nos mémoires, et nos mains se cornent 
Le travail pour seul dignité, repenti mais impossible armistice  
Nos corps annonçant le matin morne 
Dans ma famille, c’est l’omerta du sylviculteur 
C’est le masque de la pudeur qui se préfère tueur 

 

Adossé au muret jauni par l’inconstant présent, les moineaux gazouillent, de la pointe de leurs ailes la farandole s’étiole, le suave soleil reprend le flambeau sur ma peau autrefois duveteuse, les casseroles carillons du petit jour, graillon, térébenthine, patois, se débinent par le vitrail, les essences se bâtissent à la manière d’une indécelable cathédrale, vortex d’herbe fauchée caressant les écailles grillées que le linge humide accueille contre son gré, chèvrefeuilles, pyrèthres, fraisiers, thym, pins main dans la main me murmurent avec impertinence le triomphe des réminiscences, vécues, perdues, amnésie, fulgurance des sens seul à seul quand le saule est pleureur. 


Retour à l’aisance, retour au commun commode, fresque carnavalesque ou les masques se donnent et se vendent, de leurs dos laissent entrevoir les suintants sillons aux reflets de trompeuses convoitises, adossé au muret, l’arrêt est un songe, l’attachement une illusion apaisante, chercher le sommet photométéore vaniteux, bientôt déjà je ne serai plus, disparu, oublié comme celles et ceux que j’ai aimé, pourtant adossé au muret  j’ai cru que la peine serait reine sempiternelle alors qu’elle est seulement universelle, ciment de l’allégresse. 
 
Quant au muret, édifié face aux marées, érigé face aux tempêtes, élevé face au salpêtre, il sera là, impassible aux tournants, aux tourments, aux tonitruants tournages. Pilier infatigable, bâton de l’Homme face aux constellations. 

 

 

La palombière 


Le milieu rural est frappant en un point. Peu importe l’endroit de la mappemonde où l’index s’abandonne au hasard d’un cours de géographie, certains globes éclairés par la seule action d’un bouton pression, l’épine dorsale des campagnes ne se tasse guère. De la faux albanaise à la moissonneuse-batteuse d’Europe de l’Ouest, les légumes terreux patientent docilement sur le bord du carreau mal isolé entre natures mortes et réalité. La cuisine, os à moelle où les casseroles viennent relever le chant du carillon, le graillon naissant dès l’aube, vaseline des mains fendues par les champs ; le passé, le futur, seulement évoqués pour les semis, récoltes et autres périodes agricoles. Le deuil, les peines, l’Amour, les rêves, étouffés dans les sillons, sans jamais être arrosés, sans jamais germer. La rudesse des mots en moins de quatre syllabes, les silences pudiques se débattent sous ces âmes cornées. Cela dit les meubles centenaires, témoins massifs badigeonnés de térébenthine, strates géologiques des non-dits familiaux, les rideaux en dentelles mouchetés de sang, harmonie parfaite avec le formica environnant, les toiles cirées marquées par les chabrots sont les seules différences que j’ai observées. Sans omettre les tabourets qui perdent trop souvent l’équilibre au fond des granges françaises. Il est vrai mes souvenirs d’enfance sont flous, parfois je me laisse surprendre par la détonation rauque de la poudre, hymne régional des chasseurs à l’approche des feuilles jaunies. Ça vient vous masser les entrailles et disparaître dans un nuage d’acouphènes comme le trait figé d’un avion se trouvant déjà à mille lieues. Terrible.

 
Habituellement, je me garais un peu plus loin. Les phares fermèrent les yeux laissant disparaître les fougères, Brel prononça sa dernière phrase. Le temps d’engloutir ma compote gourde, la portière du vieux Lada claqua dans un parfum de tabac froid, incrusté dans le tissu des sièges depuis trois décennies. Des Café Crème. Mes bottes étaient enfoncées dans le sol nappé d’aiguilles de pin et de molinie faisant face à un long chemin. L’humus mélangé au sable quartzeux de la région revêtait un aspect cendré. Les effluves aqueux de résine aigre-douce prédominaient nettement sur l’air iodé, la marée devait être haute. Les sylviculteurs achevaient le dépressage, les grumes suintantes comme du miel, rangées au garde-à-vous attendaient les camions pour ouvrir le bal. On pouvait apercevoir entre deux flaques d’eau quelques empreintes de chevreuil vestige de la nuit passée. Les premiers coups de feu se faisaient justement entendre. 
 
Le jour encore absent, la faute d’un brouillard paresseux, il est vrai la douceur plus inquiétante qu’à la normale, les fossés sans vie, la mine étrangement jaunâtre.  
Les anciens disent à ce sujet que les saisons n’existent plus. Alouettes et abeilles disparues, écrevisses et anguilles au Panthéon des songes, insectes en déclin à l’exception des parisiens coupables du prix déraisonnable de l’immobilier. L’interdiction de la chevrotine conséquence directe des récents accidents de chasse ; indéniablement c’était mieux avant.  Terminé les ortolans au beurre avec en figure de proue Maïté sur le service public. J’ai toujours eu un attachement singulier pour cette dame dodelinant de chair et de suc, comme si son tablier venait s’enrouler en un duvet chauffé par le feu. Idéal pour s’endormir. Sans elle, sans cette grosse télévision cathodique déjouant chaque jour un peu plus l’ivresse de l’obsolescence, le bouton marche rogné par l’infini répétition du doigt, d’un éclair, l’écran ne demandant qu’à imploser, l’électricité statique jouant avec les poils de mes bras, je n’aurais pas appris le français aussi rapidement. Ni l’accent gascon, ni cet attrait envers cette culture qui machinalement compensait avec le mal du pays.  


Qu’importe, d’une synchronicité remarquable les claquements d’ailes au-dessus de la canopée annonçait la venue de l’oiseau bleu où durant un mois, des hommes coiffés d’un béret allaient vivre le visage tendu vers les cieux, les yeux affûtés, émerveillés, la salive mélangée à leur meilleure gnôle, emmitouflés dans leurs manteaux de brande – Une pancarte de travers, clouée sur l’écorce d’un pin maritime indiquée « Attention, palombière sifflez ! ». 

Euthanasie 


Il s’apprêtait à partir avec cette saveur si particulière que procure le cognac. Dernières empreintes. Le verre encore chaud posé sur la table de chevet, la buée se retirant comme à marée basse, une larme de cuir glissant contre la paroi faisait loupe sur la photo de ses petits-enfants. La mappemonde d’un simple bouton pression allait s’éteindre. Isa, habillée de sa robe des pleines lunes contrastait avec le teint cigare de la pièce, assise à côté de lui elle obtint un ultime geste d’affection, écrasant la tête pour mieux redresser son cou, il ne manquait plus que la bougie, la caméra, sur fond de Sarabande. Le sourire qu’il me destinait ne masqua pas la peur. Il s’allongea, le regard lointain, comme connecté à quelque chose d’autre, main dans la main avec le bénévole. Ce fut bien plus rapide que je ne l’avais imaginé. Une minute tout au plus, il dormait déjà d’un air espiègle. Une perle glissa sur ma joue et vint au contact du parquet poli par quatre-vingt-dix ans de vie. Parfums boisés lissés par le cirage, je retins que l’ambiance était étonnamment belle. Soixante secondes gravées dans le celluloïd de ma mémoire. Un rayon de soleil éclairait le sommier rendant les poussières visibles à l’œil nu. Petit, j’entrouvrais ma bouche pensant les attraper. Elles dansaient, comme toujours. 

 


 
 
 
 
 


 
 
 
 

 


 
 

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